Proposer l’amour en alexandrins à la génération Emoji – quel courage ! Le trio de metteurs en scène Da Silva-Conzemius-Bauler n’a pas eu froid aux yeux. Les jeunes acteurs du Lycée classique de Diekirch non plus…
Le hic parfois, avec les grands projets sur scène, c’est la composition de la troupe : à défaut de garçons en nombre suffisant, le Cyrano sur les planches du LCD était une fille, Cyrane, avec Roxan son adulé.
Était-ce-ce un leurre ? Certes non : la pièce n’a rien perdu au change. Égalité entre les sexes oblige : au 21e siècle, la femme a le droit de choisir son homme – et elle lui fait la cour. Ce que Cyrane, alias Daniela Valente sait faire à merveille… Mais hélas, affublée de ce nez… « un phénomène…, un pic, … un roc, que dis-je ?... une péninsule »… elle se décide à prêter son éloquence à la belle Christiane de Neuvillettte, Pauline Solvi sur scène, éprise elle aussi de Roxan, mais incapable de le séduire par la parole. Pour compléter le tableau, la troisième comète en orbite autour de Roxan, interprété par Billy Tessaro est Jetabel Mobley, comtesse de Guiche, jolie cheffe d’une troupe charmante de jeunes pensionnaires.
« Le défi était de vérifier si les paroles originales de Cyrano sonnent juste dans la bouche d’une fille qui va draguer un garçon… Les répétitions en devinrent fascinantes », dit Hubert Bauler avant la première. C’est lui l’auteur du texte adapté – Carina da Silva a choisi la pièce, et avec Martine Conzemius, la troisième ‘larronne’, ils ont mis en scène les acteurs, des élèves et étudiants âgés de 12 à 22 ans.
Les lumières viennent de s’éteindre, dans les haut-parleurs grésille la voix de Stromae : « Tous les mêmes ». Le public – beaucoup d’adultes, plusieurs étudiants, des élèves aussi, lycéens actuels ou futurs, dont la sœur de Daniela Valente (eh oui, elle a fait répéter son aînée !) – est aux aguets. De derrière le rideau apparaît une jeune fille. Droite, le bloc-notes sur les hanches, elle appelle les actrices par de brefs coups de sifflet : une à une elles arrivent, du haut de l’estrade où sont assis les spectateurs. Elles sont toutes habillées de bleu, tailleur ou complet, l’uniforme des pensionnaires – toutes sauf une, dont l’énorme toque et la blouse blanche égaient le portrait de groupe.
Le rideau se lève alors sur un café-théâtre au mobilier des années cinquante. Toutes pimpantes, les adolescentes envahissent les lieux, se font la bise, papotent, se taquinent. Les voilà qui déplacent tables et chaises, s’installent face aux spectateurs, les regardent comme si c’était eux les acteurs. Advient alors le beau Roxan et les dames se mettent à ajuster tantôt leur jupe, tantôt leur coiffure ou leur maquillage. Le jeune homme se voit instantanément accaparé par Antoinette de Guiche, mais son regard divague bien vite vers Christiane de Neuvillette, qui vient d’arriver. Il ne manque plus que Cyrane – mais où donc est-elle ? N’a-t-elle pas vu l’affiche ?
Soudain sa voix grave emplit la salle, rebondit en écho sur les murs, avant que la jeune fille ne descende de l’estrade pour rejoindre la scène. Dès lors c’est elle qui polarise l’attention générale : fière et invincible, elle a l’air de se moquer de tous et de tout et en prime abord de sa laideur. Cependant elle se montre attachante et vulnérable envers Le Bret, son frère, puis Roxan et enfin Christiane.
Ce n’est pas sous le balcon, comme l’exigeait le scénario original, mais par téléphone cellulaire que Cyrane finit par avouer son amour à Roxan, se faisant passer pour Christiane, qui, elle, en récolte le baiser tant attendu. Mais leur bonheur est de courte durée, puisque la comtesse de Guiche force Roxan à dire adieu à son amie, qu’elle fait partir avec l’équipe du pensionnat. Quel bonheur alors pour Cyrane – rien ni personne ne l’empêche d’écrire ses lettres, deux par jour, à son bienaimé, sous cape de l’autre. La généreuse imposture, hélas, finit par éclater… Que de cœurs brisés !
Mais que c’était beau aussi ! Tant de belles paroles prononcées avec fougue, tant de regards enflammés, tant de gestes tendres… Oui, ces jeunes vivaient les rôles qu’ils jouaient… et oui, le spectateur sut rêver à sa guise.
Texte : Christiane Grün
Photos : Jil Kugener