Nuit du piano, samedi soir au conservatoire de Luxembourg
Marathon musical de quatre heures
La Nuit du piano est un magnifique projet réalisé par les Noise Watchers Unlimited en collaboration avec le conservatoire de Luxembourg. Pendant quatre heures, de jeunes pianistes ont égalé, voire surpassé, les performances sportives luxembourgeoises.
Un programme combien équilibré, très bien structuré par Claude Lenners, maître du genre, il est vrai. Des œuvres-clés du piano du XXe siècle, indispensables à la compréhension de ce qui viendra plus tard.
Chia-Chia Lee attaque ce marathon avec la Suite opus 14 de Bartók longuette, pas vraiment facile d'accès. En essuyant les plâtres, il faut séduire doublement: pari tenu. Jean Muller s'attaque, c'est le cas de le dire, à la Bagatelle sans tonalité et Nuages gris écrites toutes les deux par F. Liszt au déclin de sa vie, exprimant déjà une musique du XXe siècle empreinte d'impressions, de modernité. Jean Muller joue sobrement mais avec détermination.
Jean-Philippe Koch s'en prend aux Bagatelles de Bartók avec netteté et légèreté: un sans-faute avec un sang-froid et une maîtrise impressionnants. Annie Kraus, pour terminer cette première partie, nous joue la très difficile Musica Ricercata de Ligeti. Véritable bijou, il ne devient joyau que lorsqu'il est interprété avec une grande rigueur et introspection.
Deuxième partie entièrement réservée à Bartók. Kae Shiraki nous fait écouter la difficile Sonate avec hardiesse. Techniquement, ce n'est pas facile et l'interprétation manque peut-être un peu de mordant. Cathy Krier entame ensuite les Danses Roumaines , probablement plus connues dans le public tout-venant, danses très jolies imprégnées de musique populaire. En plein air , comme le titre le suggère, est du même cru, et c'est vraiment extrêmement bien rendu.
Jean Muller nous revient pour le troisième acte avec Deux Études pour piano de Ligeti qui, comment s'en cacher, reflètent la situation tragique que ce compositeur a vécue pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Le jeu limpide et léger convient très bien à ces deux études qu'on peut comprendre comme une échappatoire.
Pascal Meyer nous ramène à Béla Bartók en interprétant successivement Les Danses au rythme bulgare et Ostinato , pièces extraites de Microcosmos . Jeu plus jazzy, plus mélodieux aussi. Pièces jalonnées de pièges de toute sorte, dont Pascal Meyer se joue littéralement. Jean Muller prend le relais pour se jeter avec force et détermination dans les Huit pièces pour piano de György Kurtág. Francesco Tristano Schlimmé cisèle Sequenza lV de Luciano Berio avec finesse en utilisant la pédale tonale (ou sostenuto) avec justesse pour magnifier, dirait-on, l'admiration qu'il voue au compositeur italien. Pour suivre, Hungarian Rock de Ligeti, initialement écrit pour cymbalum et retranscrit pour piano par Schlimmé lui-même. Si ce n'est pas du jazz, cela y ressemble! Musique teintée de spontanéité un peu comme dans les clubs typiques du genre.
Jean Muller débute la partie finale par les douze Children's Dances de Kodaly, qui se jouent uniquement sur les touches noires donnant une allure japonisante à ces airs exotiques qui plaisent par leur innocence. Le duo Maxim Ladid et Daniel Winkler offre Paganini Variations pour deux pianos de Witold Lutoslawski. Magique! Les deux jeunes artistes tirent de ces variations des sonorités extravagantes.
Pour finir en apothéose, Francesco Tristano Schlimmé et Jean Muller nous offrent la Suite pour deux pianos de Richard Rodney Bennett. L'éclectisme de ce très prolifique compositeur étonne toujours. C'est par un air «rag» que se termine cet incroyable concert marathon.
(Suzanne Faber - Fotos:Guy Jallay)